Représenter les non-humains: imaginaire juridique et imaginaire littéraire à l’heure de l’anthropocène

Abstract

Comment représenter les entités non humaines et les milieux de vie à l’ère de l’anthropocène ? La question de la représentation, qu’on peut entendre dans sa dimension esthétique, politique mais aussi juridique, se pose à nouveau à l’heure où l’urgence climatique incite à considérer le monde non plus comme un territoire consacrant la prééminence de l’homme, mais comme un espace partagé entre humains et non humains, à inventer des récits qui intègrent différents actants et différentes formes d’agentivité. L’entrée de ces nouveaux protagonistes en littérature – animaux, plantes, mais aussi montagnes, fleuves, sédiments, ou encore bactéries – marque une volonté de décentrement ontologique qui découle en partie de la découverte, en biologie, de la nature symbiotique des relations entre les vivants. De nouveaux récits ont ainsi essaimé en littérature, mais aussi en sciences humaines et jusque dans l’imaginaire juridique contemporain. A partir d’un vaste corpus de récits littéraires contemporains, on se propose de cartographier ces nouveaux agencements. Ces oeuvres littéraires entendent participer à la construction d’un savoir sur le monde et enregistrer dans leur forme même les évolutions de notre rapport à la Terre, à ses vivants et à ses paysages. Elles érigent l’écriture en pratique d’exploration et de connaissance, et constituent le ferment d’un nouvel imaginaire animiste dont on trouve désormais aussi les traces dans certaines réflexions du droit contemporain. C’est la porosité de ces nouveaux imaginaires, littéraires et juridiques, qui fera l’objet de cette étude, en montrant comment la littérature modélise les questions juridiques autour de l’extension de la « personne morale » qui se pose avec acuité depuis deux

décennies, et comment à son tour le droit s’inspire et se trouve déplacé par des figurations littéraires qui ont à la fois une vertu critique mais, surtout, spéculatives.